Des paysages construits par l'homme : les terrasses des Monts Mandara (Nord-Cameroun).

     Dans l'extrême nord du Cameroun les Monts Mandara présentent l'un des paysages naturels des plus ingrats de notre planète. Ayant servi de refuges aux populations de plaines, celles-ci y ont bâti au fil du temps des paysages totalement anthropisés à la fois dans leur aspect physique que par leur végétation sélectionnée. Ce travail patient et répété des hommes permet des densités souvent supérieures à 300 habitants par km2, le tout sous un climat marqué par une aridité sévère durant plus de six mois.

     L'analyse des paysages des plus hauts sommets des Monts Mandara (massif de Ziver dominant les quartiers de Magoumaz), aux pentes très escarpées avec des dénivelés de plusieurs centaines de mètres parsemés de vastes éboulis rocheux expose la maîtrise de l'homme sur son milieu et l'ampleur de la tâche accomplie.

1982 01 22 Magoumaz vers Ziver

De Magoumaz vers Ziver, l'itinéraire d'accès
(photographie Alain Beauvilain, janvier 1982, droits réservés).

Magoumaz Ziver fini 1954

À gauche, extrait agrandi de la carte IGN Mokolo 4c-d, feuille NC-33-XIV-4c4d au 1/50.000e (équidistance des courbes : 20 mètres) ; à droite, extrait agrandi de la photo n° 39 de la mission AEF 1953-54 n°124 au 1/50.000e ayant servi à faire cette carte.

Magoumaz Ziver fini 1975

À gauche, extrait agrandi de la photographie aérienne 1152 de la mission IGN 75 CAM 126/200 au 1/20.000e ; à droite, extrait de la scène Google Earth du 10 décembre 2011.

Magoumaz photo aérienne

Extrait très agrandi de la photographie aérienne 1152 de la mission IGN 75 CAM 126/200 (mission de 1975 au 1/20.000e) correspondant à une partie sud-ouest de la carte IGN reproduite ci-avant.

Les cultures en terrasses en pays Mafa : Magoumaz.

d'après Alain Beauvilain,
Atlas aérien du Cameroun, campagnes et villes. 1983, pp. 16-17.

   Si les Monts Mandara ne dépassent pas les 1.500 mètres, la tectonique cassante dont ils ont été l’objet, y a engendré des reliefs aux escarpements vigoureux. Ainsi à Magoumaz, la pente, en valeur moyenne de 20%, peut atteindre 30% pour un dénivelé total d’environ cinq cents mètres entre le mayo Mégwé et Ziver. Ces reliefs sont à l’origine d’une pluviométrie plus abondante, plus de un mètre, surtout sous forme de violents orages, soit un gain d’au moins deux cents millimètres à latitude égale par rapport aux plaines voisines.
   Occupé vraisemblablement depuis le XVIIe siècle, le massif de Magoumaz dépasse aujourd’hui les trois cents habitants par Km2. L’habitat, totalement dispersé et localisé presque exclusivement sur les pentes, entraîne une mise en valeur intégrale et continue de l’ensemble du terroir montagnard. Le moindre creux, la moindre diaclase portent quelques pieds de mil. L’occupation de la vallée n’est que très récente.
   Cette situation pose les deux redoutables problèmes de la lutte contre l’érosion et du maintien de la fertilité des sols et donc des rendements.
   La lutte contre l’érosion a façonné un paysage construit par la main de l’homme. En effet les versants, totalement aménagés en terrasses, vont jusqu’à prendre l’allure sur les pentes les plus fortes d’escaliers de géants. Construites en pierres sèches, hautes d’une cinquantaine de centimètres, ces terrasses voient leur largeur varier en fonction de la pente de un mètre à une dizaine de mètres (photographie aérienne 1152 de la mission IGN 75 CAM 126/200 dont la partie ouest est reprise sur les photographies obliques).
  

Magoumaz fini site

Extrait très agrandi de la photographie aérienne précédente non plus en orientation nord-sud mais dans l'orientation des photographies suivantes prises depuis le sol.

Dans les principaux drains l’écoulement est freiné par l’aménagement des pierriers existants et par la création d’obstacles plus ou moins rapprochés selon la pente. Sur le piémont, des pierrées fractionnent les écoulements principaux afin de limiter là aussi le ruissellement.
Les façons culturales complètent ces aménagements tout en assurant une plus grande humidification du sol. Ainsi lors des sarclages, les herbes sont accumulées au pied des plants de mil puis recouvertes d’un peu de terre. Cette microtopographie tourmentée empêche le ruissellement en nappe et favorise l’imprégnation du sol.
Pour garder l’eau sur les pentes plus faibles des piémonts, les billons des champs de souchet et de patates sont séparés par des rigoles de quelques décimètres de profondeur, elles-mêmes reliées à une rigole périphérique, et les champs de voandzou sont quadrillés de petites diguettes de terre.
Enfin dans les champs de mil, les éteules ne sont arrachées qu’en fin de saison sèche aérant ainsi le sol, lui gardant sa structure et le protégeant d’une éventuelle déflation éolienne.
La faible charge des mayo au sortir des massifs mafa prouve le succès de ces pratiques.
Nourrir une population si dense et depuis si longtemps implique que l’entretien de la fertilité du sol soit maîtrisé par l’homme, même si l’on attribue à aux érosions chimique et mécanique un pouvoir de reconstitution rapide des sols arénacés des pentes.

1982 01 25 Monts Mandara Ziver

Sur le chemin d'accès à Ziver, le versant oriental de la vallée de Magoumaz correspondant à la photographie IGN ci-dessus. (photographie Alain Beauvilain, janvier 1982, droits réservés).

   La rotation des cultures, faisant se succéder en même temps dans tous les massifs mafa gros mil/petit mil avec cultures associées, est l’aspect lre plus spectaculaire de toute une stratégie même si son rôle semble plus concerner la lutte contre les maladies du mil que le maintien du potentiel agronomique du sol. Vingt variétés de gros mil et quatre de petit mil sont plantées à Magoumaz en culture mélangée afin de diminuer les risques liés aux aléas climatiques.
En avril, à la veille de la saison pluvieuse, le ramassage systématique des tiges de mil, herbes, feuilles des arbres qui, mises en tas, sont brûlées et le nettoyage complet de l’habitation pour récupérer le maximum de déchets domestiques, visent à rendre au sol au moment le plus opportun, le plus possible de ce qui lui a été pris.
    Mais la fumure vient surtout du petit élevage existant dans la concession. La stabulation en case du ‘bœuf du Maray’, les cases-étables où rentrent chaque soir le petit bétail et éventuellement les bovins supplémentaires, et où ils sont nourris durant toute la saison des pluies, fournissent une fumure de qualité en relative abondance. Elle est systématiquement déposée en saison des pluies au pied de chaque plant de mil.
    Enfin la mise en valeur, récente, de la vallée s’accompagne de la création d’un parc d’Acacia albida de plus en plus dense.
    Ces pratiques aboutissent à des rendements moyens satisfaisants puisque de l’ordre de sept cents kilogrammes par hectare pour le gros mil et de six cents kilogrammes pour le petit mil. Mais, et les études de Jean Boulet le démontrent pleinement, les importantes différences de rendement constatées d’une exploitation à l’autre, sont surtout le fait du travail et des soins plus ou moins attentifs apportés par le paysan à son champ. « Ce n’est donc pas parce que les pentes étaient plus fertiles que le paysan les a cultivées mais parce qu’il s’y était installé et qu’il les a cultivées qu’elles sont devenues fertiles » (Boulet Jean, 1975 : Magoumaz, Pays Mafa (Nord Cameroun). (Étude d’un terroir de montagne). Paris, ORSTOM, 94 p., 14 photographies, 6 cartes hors-texte, collection Atlas des structures agraires au sud du Sahara, n°11, page 45). Cet ouvrage ne porte que sur la partie occidentale de la vallée que domine le massif de Ziver et non sur les terrasses des photographies reproduites ci-dessus.

1984 01 Magoumaz

Photographies du versant oriental de la vallée de Magoumaz à partir du chemin qui mène à la cuvette de Ziver en janvier 1984 ci-dessus, en juillet 1985 ci-dessous, (clichés Alain Beauvilain, droits réservés).

1985 07 Magoumaz